mise à jour le 20 Juin 2005

 

CONFÉRENCE SUR "LA FORME DE L'ESPACE"

Par Jean Pierre LUMINET 
de l'Observatoire de Paris-Meudon (LUTH)

Organisée par l'IAP

98 bis Av Arago, Paris 14 ème

 

le vendredi 10 Juin à 14H00

 

Photos : JPM. sinon voir les ©

 

Remarque : je ne suis pas sûr d'avoir parfaitement tout compris mais j'espère avoir résumé correctement cette passionnante présentation. Je suis ouvert à toutes les modifications, commentaires et corrections, n'hésitez pas.

 

 

 

BREF COMPTE RENDU

 

Je vous préviens tout de suite, je ne peux pas être impartial avec JP Luminet, c'est mon idole, bon ceci étant dit, je suis un scientifique et je vais faire mon possible pour retransmettre le contexte de cette conférence.

Avant de démarrer il faut définir le mot topologie, c'est d'après JP Luminet :

La topologie est la branche de la géométrie qui classifie les espaces en fonction de leur forme globale. Par définition, les espaces d'une même classe peuvent se déduire les uns des autres par déformation continue, sans découpage ni déchirure. Dans le cas des espaces à deux dimensions, c'est à dire des surfaces, la sphère, par exemple, a la même topologie que n'importe quelle surface fermée ovoïde. Mais le plan est de topologie différente, puisque aucune déformation continue ne lui donnera la forme d'une sphère.

 

 

 

 

La forme de l'Espace, sujet en pleine évolution, on pense d'abord à la géométrie et il y a quatre niveaux de géométrie comme on voit sur la photo suivante.

 

 

 

1-     la topologie cosmique, finie ou infinie

2-    la relativité générale et la cosmologie avec courbure de l'espace faible et forte

3-    la mécanique classique et la relativité restreinte avec courbure nulle

4-    la gravitation quantique et la théorie de l'Unification, la courbure subit des fluctuations .

 

Aujourd'hui le lien entre les deux niveaux extrêmes est l'objet de la théorie des branes et des supercordes.

 

 

 

 

 

 

 

Une des grandes avancées du XXème siècle a été l'équation des champs d'Einstein qui relie la géométrie (tenseur G qui représente la courbure de l'espace) à la matière (tenseur T).

 

Gij  =  k Tij

 

En cosmologie, la matière est répartie uniformément à grande échelle et la courbure de l'espace s'homogénéise ainsi devenant constante.

 

 

Cette courbure peut être soit positive et finie (sans bord) comme une sphère, soit nulle finie ou infinie c'est l'espace euclidien (plat) que l'on connaît, soit négative finie ou infinie, espace hyperbolique (selle de cheval).

 

On voit ces diverses possibilités sur le schéma ci contre.

 

Ces différentes possibilités ont conduit à différents modèles pour le Big Bang.

 

Il existe quand même un consensus c'est ce que l'on appelle le "modèle standard" du Big Bang.

Après ce Big bang, les fluctuations de densité originelles auraient été amplifiées par le processus d'inflation , ceci ayant conduit aux premières observations du bruit de fond cosmologique (CMB).

 

Actuellement on est d'accord sur un modèle que presque tout le monde accepte et qui est représenté sur la photo d'après. (concordance model).

 

 

 

 

L'espace serait plat infini et l'expansion en accélération.

 

 

 

Les proportions entre matière (visible, invisible, tordue etc..) et énergie serait de 28% à 72%.

 

L'énergie dominerait la matière depuis quelques milliards d'années.

 

Ces conclusions sont basées sur l'observations des super novas lointaines (chandelles standard) qui ont ainsi calibré le taux d'expansion et confirmé l'accélération de celui ci.

 

 

 

 

 

QUELLE EST DONC LA TAILLE ET LA FORME DE L'ESPACE (DE L'UNIVERS)?

 

Notre vue étant d'ailleurs limitée par l'horizon cosmologique. Cette limite, similaire à l'horizon du marin en mer, provient du fait que la vitesse de la lumière est finie et que donc certaines étoiles ont émis de la lumière qui NE NOUS A PAS ENCORE ATTEINT.

 

Donc notre vue de cet univers observable, est limitée à l'age de l'Univers, approximativement 13 milliards d'années lumière (al), c'est l'horizon cosmologique.

Ce n'est pas l'horizon réel de l'univers observable qui est PLUS GRAND, en effet l'Univers a continué de s'étendre pendant le temps que la lumière met à nous parvenir, cet univers réel est évalué à 50 milliards d'al.

(Bien que l'age de l'univers soir évalué à approximativement 13 milliards d'années, il ne faut pas s'étonner que l'univers observable soit plus grand, en effet, les photons émis à la naissance, ont subit l'effet de l'expansion et ont en fait parcouru une distance beaucoup plus grande évaluée à approximativement 50 milliards d'années, avant de frapper nos yeux.)

 

Il y a trois cas de figure :

Hypothèse 1 : l'univers est infini : c'est le modèle préféré des astronomes, mais problème : comment peut on prouver que quelque chose est infini, c'est donc un modèle non testable ce qui gène les physiciens.

Hypothèse 2 : univers fini et sans bord, mais qui serait plus grand que l'univers observable, c'est testable

Hypothèse 3 : univers fini sans bord et plus petit que l'univers observable, c'est sur ce sujet particulier que travaille Jean Pierre Luminet et son équipe.

 

Dans cette hypothèse, ce que l'on voit dans le ciel, ne serait qu'un mirage, l'univers nous donne l'illusion qu'il est plus grand qu'il n'est en réalité.

 

C'est un effet de mirages topologiques, l'espace observable est composé d'une mosaïque d'images mirages limitée à l'horizon.

 

Mais comment peut on s'imaginer de tels mirages, une image simpliste correspond à ce que l'on pourrait voir si l'univers était torique à deux dimensions comme sur le dessin ci contre tiré du livre de JP Luminet l'Univers chiffonné.

(dessin ©JP Luminet)

 

Un astronome dans la galaxie (b) voit des images multiples (mirages) de la galaxie (a). la lumière de la galaxie (a) atteint notre observateur selon plusieurs trajets, de telle sorte qu'il voit plusieurs images de cette galaxie.

L'univers lui paraît infini limité seulement pas l'horizon cosmologique.

 

 

On a classifié les espaces à 3 dimensions (les polyèdres fondamentaux, en anglais FP : Fundamental Polyhedrons) selon le signe de leur courbure (sphérique, euclidien ou plat et hyperbolique) et on s'est aperçu qu'il existe 18 espèces à courbure nulle (sphérique) et aussi des espèces exotiques (5 espèces cheminées; 10 pour l'espace euclidien fermé).

 

 

Pour approcher ces différentes formes on les représente par des polyèdre.

 

 

Et pour JP Luminet et son équipe, notre univers s'approche le plus d'un DODÉCAÈDRE DE POINCARÉ.

 

 

Certains l'on décrit comme un univers "ballon de football (soccer ball en anglais).

 

Qu'est ce que c'est un dodécaèdre de Poincaré? Ce sont douze pentagones sur une sphère dont on colle les faces opposées, et l'espace de Poincaré peut se décrire comme l'intérieur de cette sorte de sphère.

 

Le volume d'un tel dodécaèdre est 120 fois plus petit qu'un dodécaèdre standard (du commerce!).

 

 

 

 

Et on vivrait à l'intérieur d'un tel volume qui possède la particularité que quand on s'approche d'une de ses faces on en ressorte par la face opposée comme dans ces petits jeux électroniques des enfants des cours de récréation.

Cet espace est fini, sans bords et sans limites.

 

 

Il nous montre maintenant une animation faite par son collaborateur Jeff Weeks sur ces mirages dus à ce type de topologie.

 

Je n'ai pas pu trouver cette animation sur le Net, donc pas d'animation, dommage, voir quand même le site de Jeff Weeks en référence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMENT TESTER TOUS CE MODÈLES?

 

Il faut maintenant essayer de prouver qu'un tel modèle peut exister et même qu'il existe et qu'on peut voir ces images fantômes.

 

Là intervient le satellite WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) en orbite depuis plusieurs années et les techniques de cristallographie cosmique.

 

Comme le dit JP Luminet sur son site :

 

La cristallographie cosmique cherche à repérer dans la distribution tridimensionnelle apparente des objets célestes lointains (tels qu’amas de galaxies ou quasars), des corrélations spécifiques qui signaleraient des répétitions de structures analogues aux répétitions d’atomes observées dans les cristaux. Ils ont montré que des "histogrammes de séparations de paires" sont susceptibles de mettre en évidence une topologie complexe de l’espace, sous la forme de pics se superposant au bruit de fond qui serait produit par une répartition aléatoire des sources. Les auteurs ont particulièrement étudié les espaces "petits", dont la topologie aurait pour effet de démultiplier les images des galaxies lointaines, faisant paraître l’espace observable plus grand que l’espace physique !

 

 

 

On voit sur l'image ci dessus le graphe PSH (Pair Separation Histogram) correspondant aux données du satellite WMAP qui a mis en lumière le rayonnement cosmologique du fond du ciel (CMB à 2,726K +/- 0,00001K!!).

 

L'analyse harmonique de ces infimes fluctuations de température donnent des informations sur la topologie de l'espace.

Les pics correspondraient à des images multiples dans le domaine des grands z (grande distance).

 

 

 

 

Tout ceci amène à considérer le spectre en puissance de ces données. (Angular Power Spectrum en anglais) qui est la superposition de toutes ces harmoniques.

 

Graphique WMAP.

L'échelle horizontale inférieure peut être considérée comme étant proportionnelle au nombre d'onde (inverse de la longueur d'onde); l'échelle horizontale supérieure correspond à l'échelle angulaire du ciel; l'échelle verticale est proportionnelle aux fluctuations de température même si ce n'est pas ce qui est écrit ici).

 

Ce graphique représente de combien varie la température en chaque point du ciel.

 

 

 

 

 

 

 

Le grand pic correspond à l'harmonique fondamental (comme pour un instrument de musique) qui indique la taille typique d'un "grumeau" du ciel approx 1°. Les pics secondaires (les "harmoniques") donnent d'autres informations complémentaires.

 

La gauche du spectre est celle qui s'éloigne le plus de la courbe idéale, il y a des anomalies locales. Cela correspond aux "basses fréquences" comme la perte de puissance dans les graves d'un instrument de musique.

 

Pour JP Luminet cela indique que l'espace est fini car les basses fréquences ne peuvent pas exister et être plus grandes que l'espace lui même, d'où la conclusion sur la finitude de l'espace.

 

Par exemple pour une corde vibrante, la longueur d'onde maxi émise ne peut pas être supérieur au double de la longueur de la corde.

 

L'Univers (ou la corde Univers) ne serait pas assez grand pour pouvoir "jouer" ces notes, donc il est limité.

 

Une explication d'un tel Univers est proposée  par JP Luminet et son équipe : c'est l'espace dodécaédrique de Poincaré.

 

Lorsque l'on compare le spectre de puissance avec le modèle de Poincaré, on voit qu'il y a une excellente concordance et ceci lorsqu'on détermine certaines valeur de la densité matière/énergie.

Ici Omega zéro (Ω0 ): 1,016  et oméga matière : 0,28. 

 

 

 

 

Barre de gauche : modèle de Poincaré

Barre du centre données WMAP.

Barre de droite : Univers infini

Basse fréquence à droite.

 

 

 

 

L'accord avec le modèle de Poincaré est particulièrement bon dans les "basses fréquences" (l= 4).

 

Ceci tend à prouver que l'Univers serait un espace dodécaédrique de Poincaré, avec une contrainte sur les densités matière/énergie comme indiqué plus haut.

 

Un tel espace est appelé "bien proportionné".

 

 

Un tel espace est c'est là le point fondamental est PLUS PETIT QUE CE QUE L'ON OBSERVE!!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec les constantes indiquées précédemment , on obtient :

 

UNIVERS OBSERVABLE : 53 MILLIARDS D'ANNÉES LUMIÈRE

 

UNIVERS PHYSIQUE (RÉEL) : 43 MILLIARDS D'ANNÉES LUMIÈRE

 

L'espace physique est 80% plus petit que l'espace observable, il doit donc y avoir DES MIRAGES COSMIQUES!

 

Si cette hypothèse est vraie et vérifiée, nous assistons à une révolution de la cosmologie.

 

 

 

 

 

PEUT ON PROUVER CETTE HYPOTHÈSE ?

 

Si on parvient à donner aux constantes contraintes les valeurs exactes qui correspondent au modèle, c'est une preuve de sa solidité, ce serait possible avec les nouvelles données de WMAP pour les années 2 et 3 mais aussi avec le futur satellite Planck.

De même on peut aussi exclure ce modèle si les valeurs de oméga sont trop différentes de ce que l'on attend. (par exemple si <1,01).

 

 

Entre temps, il faut rechercher ces mirages cosmiques en cherchant dans les cartes de WMAP des cercles corrélés (matched circles en anglais) qui représentent des endroits mirages mais bien entendu on ne peut pas chercher des images identiques, car ces mirages ne correspondent pas forcément à la même époque et à la même vue d'un coin du ciel (c'est comme chercher une personne en regardant des photos à différents ages et de différentes positions, même de dos), alors comment faire?

 

 

On sait seulement qu'il y a 6 paires de cercles à trouver.

 

 

 

 

 

 

 

Il y a tellement de paramètres que le nombre d'opérations nécessiteraient 10 millions d'années de travail sur un ordinateur. (la recherche générale a six paramètres libres : 2 coordonnées pour le centre du premier cercle, deux coordonnées pour le centre du second cercle, 1 pour le rayon des cercles, 1 pour la phase angulaire relative des cercles. Une recherche complète sur les 3 millions de pixels de la carte WMAP exige 1023 opérations, soit 10 millions d'années de calcul sur ordinateur).

 

 

Si maintenant on fait l'hypothèse de topologies plus simples où l'on sait d'avance que les cercles corrélés sont diamétralement opposés (c'est le cas de l'espace dodécaédrique ou de l'hypertore), cela supprime 2 paramètres libres (puisque, le premier cercle étant donné, on sait immédiatement où doit être le second); si en plus on a une idée d'une échelle angulaire sous laquelle doivent être vus ces cercles sur le CMB  (par exemple entre 5° et 45° pour l'espace dodécaédrique, au lieu de 0°-90°), et si on connaît au préalable la phase (par exemple +- 36° pour l'espace dodécaédrique, 0° pour l'hypertore), on économise encore beaucoup, et le calcul peut être fait en quelques mois, voire semaines...

 

 

Les scientifiques actuels recherchent ces paires de cercles mirages, tout est possible; tout est ouvert.

 

 

 

EN CONCLUSION

 

Il semblerait que notre Univers soit fini de courbure légèrement positive (sphérique), en fait presque plat et dont le meilleur modèle pour le moment semble être un espace dodécaédrique de Poincaré.

 

Les années qui viennent vont nous permettre de confirmer ou d'infirmer ce modèle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN.

 

 

Sur JP Luminet et son équipe : tous les documents de l'Observatoire de Paris :

 

Page perso de Jean Pierre Luminet.

 

Un univers fini dodécaédrique.

 

Toutes les slides d'une présentation similaire en format pdf, attention fichier de 3,6MB

 

Topologie et cosmologie par JP Luminet en vidéo et avec son (54 min) : superbe à écouter et à voir.

 

Comment vibre le tambour cosmique :

 

L'Univers est il chiffonné? Le B-A BA de la topologie.

 

Un petit univers sphérique.

 

Cet espace qui nous chiffonne, article du courrier de l'Unesco.

 

Dialogue Luminet/Lachieze Rey

 

Le site de Jeff Weeks et de ses programmes fous.

 

Article du Monde sur la forme de l'uni par JP Luminet.

 

Article de Libération sur le même sujet par JP Luminet. libé :

 

 

 

 

Plus sur la cosmologie et la topologie :

 

Cours de cosmologie de l'Université de Tübingen (en anglais) bon niveau.

 

Le ciel du bruit de fond cosmologique vu par WMAP (image jpeg).

 

Le modèle standard et la topologie de l'Univers.

 

Aperçu de l'évolution de la cosmologie de l'Antiquité à aujourd'hui, dont une belle illustration de l'horizon cosmologique.

 

Définition de l'Univers (encyclopédie).

 

Astronomy and Cosmology, un cours en anglais très bien fait du GSFC (Goddard Space Flight Center).

 

Article simple de Space Daily sur l'Univers dodécaédrique et la cosmologie qui en découle (en anglais).

 

La géométrie de l'Univers, une partie du cours de l'Université Cornell. (anglais)

 

La forme de l'Univers en anglais, mais bon et simple à comprendre.

 

 

 

 

Sur le satellite WMAP et autres projets spatiaux similaires.

 

Le satellite WMAP et ses données.

 

Le site du satellite Planck de l'ESA.

 

Les américains sur la mission Planck.

 

 

 

 

Pour initiés  et accros aux maths.

 

Article en anglais de 16 pages format pdf sur : "detecting topology in a nearly spherical universe".

 

Article en anglais de 33 pages au format pdf sur : "Cosmic microwave background anisotropies in multi-connected flat spaces"

 

Tenseurs de Ricci et tenseurs scalaires etc…

 

 

LIVRE À LIRE IMPÉRATIVEMENT SUR LE SUJET

 

Bien entendu c'est "L'Univers Chiffonné " de JP Luminet.

 

Éditions Folio Essais (poche), critique à lire ICI.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'est tout pour aujourd'hui!

 

 

Bon ciel à tous

 

 

Jean Pierre Martin   www.planetastronomy.com