Mise à jour 15 Mars 2014 update 21 mars vidéo et CR de JP Treil
 
 
CONFÉRENCE MENSUELLE DE LA SAF
 «L’UNIVERS A-T-IL CONNU UN INSTANT ZÉRO ?»
Par Étienne KLEIN
Scientifique et Philosophe
Directeur du LARSIM (CEA Saclay)
Au FIAP, 30 rue Cabanis, 75014 Paris (métro Glacière).
Le Mercredi 12 Mars 2014 à 20H30
 
Photos : JPM. pour l'ambiance (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées directement)
Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur.  Voir les crédits des autres photos et des animations.
Le conférencier a eu la gentillesse de nous donner sa présentation, elle est disponible sur ma liaison ftp et s'appelle :, elle est dans le dossier CONF-MENSUELLES-SAF/ saison 2013-2014. .
Ceux qui n'ont pas les mots de passe doivent me contacter avant.
 
Cette conférence a été filmée en vidéo (grâce à UNICNAM et IDF TV) et est accessible sur Internet
On la trouve à cette adresse   https://www.youtube.com/playlist?list=PLM_NLeMfZ9TrGKALUXZp8Eeg1f8Q0djj2  
 
 
 
 
 
Comme vous vous en rendez compte sur les photos ci-dessus, la conférence a été un énorme succès et le nombre de personnes était supérieur au nombre de places assises. Dès 20H00 la salle était archi pleine.
À 20H30 la direction du FIAP nous a demandé de procéder à l’évacuation des personnes qui n’avaient pas de sièges, ce fut laborieux, mais je remercie tout ceux qui sont sortis (à contre cœur), ce qui nous a permis de débuter la séance. Un merci particulier à ma tendre compagne qui a laissé sa place à une personne handicapée et qui a été obligée de sortir.
Ceux qui l’ont voulu m’ont laissé leurs adresses mail pour que je puisse voir comment je pourrais compenser cela plus tard.
Etienne Klein a eu la gentillesse de m’assurer que l’on essaierait de trouver une date à la rentrée pour faire une sorte de « replay » et les personnes évacuées seraient prioritaires.
 
Au nom de la SAF et en mon nom, je présente mes excuses à tous et notamment à ceux qui sont venus de loin , pour cet incident.
 
 
Etienne Klein, ancien de l’École Centrale, est Directeur du LARSIM : Laboratoire des Recherches sur les Sciences de la Matière au CEA Saclay.
 
C’est un spécialiste de la physique des particules et de la Mécanique Quantique.
 
Il a écrit de nombreux ouvrages : voir à la fin.
 
Il a parlé une heure et demie sans support visuel et c’était très prenant et intéressant.
 
 
 
 
 
J’ai eu la chance d’avoir un passionné, Mr André Oudiz, qui a pris beaucoup de notes et qui a la gentillesse de me les transmettre pour diffusion, plus tard notre ami Jean Pierre Treuil me fait aussi parvenir son CR que je mets à la suite de celui de Mr Oudiz. merci à vous deux, les voici :
 
CR de André OUDIZ :
 
Considérations préliminaires
 
Le conférencier a une double formation : ingénieur et philosophe des sciences. Cela le conduit à questionner d'emblée le titre même de son exposé. Ainsi donc, avant d'entrer dans le vif du sujet (l'instant zéro), il fait un long développement liminaire sur le thème : "Parlons nous bien de ce que nous savons?"
 
Pour illustrer son propos, il évoque le principe d'incertitude d'Heisenberg qui est souvent mal formulé dans les livres scolaires ou dans les ouvrages de vulgarisation : "Pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse".
Cette formulation suggère aux lecteurs qu'à chaque instant une particule est dotée d'une vitesse et d'une position mais que la mécanique quantique nous apprend qu'il n'est pas possible de mesurer celles-ci dans la même expérience.
Le problème est que cela est faux !
Au niveau microscopique, les objets physiques ont un comportement intrinsèquement différent de celui des objets macroscopiques que nous rencontrons tous les jours : les électrons par exemple ont une masse, mais ils n'ont pas d'orbite définie dans un atome et c'est du fait de cette propriété intrinsèque (ontologique dit E. Klein), qu'il est impossible d'en déterminer à la fois la vitesse et la position par un dispositif expérimental quelconque.
La mécanique quantique n'est donc pas une évolution de la mécanique du 19ème siècle, mais bien une "révolution ontologique".
Mais nous avons du mal à penser le fait contre-intuitif qu'un objet n'aurait pas une position et une vitesse à tout instant : cela nous conduit à des contresens "enkystés dans notre culture".
 
Pour le Big Bang, nous constatons le même type de malentendu.
Selon E. Klein, c'est dans les années 50 que s'est fixée la notion d'origine de l'univers dans notre langage.
A l'époque, on disait avoir compris l'origine des atomes dans l'univers : fusion de l'hydrogène en hélium et lithium dans l'univers primordial, puis création des atomes plus lourds jusqu'au fer au sein des étoiles par fusion thermonucléaire et enfin création des atomes encore plus lourds lors de l'explosion d'étoiles massives (supernovae). Mais on voit ici se dessiner le malentendu : plutôt que d'une origine, ne s'agit-il pas plutôt de l'aboutissement d'un processus physique dont le résultat s'identifie à l'apparition des atomes?
 
Qu'en est-il alors pour l'univers lui-même ? De quoi l'univers serait-il l'achèvement?
Là on se heurte à un paradoxe. Comment l'inexistence de toute chose a pu devenir quelque chose?
Il faut penser l'absence de l'univers et distinguer l'origine relative (des atomes) et l'origine absolue (de l'univers).
Postuler une origine de l'univers c'est passer du non être à l'être.
Kant avait noté que si l'origine de l'univers est transcendante (elle ne fait pas partie de l'univers), ce n'est pas en étudiant l'univers qu'on appréhendera son origine.
 
Considérons de même le langage : de quoi parle-t-on quand on recherche son origine ?
De la langue primitive qui aurait donné naissance aux 6000 répertoriées actuellement?
Laquelle serait donc géographiquement et historiquement fixée ? Ou parle-t-on plutôt des conditions cérébrales, culturelles, environnementales, etc. qui auraient conduit les hommes à communiquer d'abord de façon phonétique puis avec des mots? Dans ce dernier cas, c'est un processus continu qui ne serait plus localisable dans un lieu et dans une période historique précise.
 
Autre malentendu : ce qu'on appelle au 20ème siècle "atome" n'a rien à voir avec ce que Démocrite désignait par ce mot.
Pour le philosophe grec, c'était une idée et pas un objet.
Pour conclure ce point, E. Klein explicite l'alternative suivante :
Origine transcendante : la cause première n'est pas l'effet d'une autre cause.
Est transcendant ce qui se situe au-delà du domaine pris comme référence.
ou :
Origine immanente : cette fois la cause est logiquement première.
 
Une grande question philosophique est celle du statut des lois physiques : transcendantes ou immanentes?
Selon Hawking, la gravitation serait à l'origine de l'univers et le précèderait donc.
Ce qui implique dès lors que les lois physiques seraient transcendantes.
Mais on peut aussi se demander si les lois physiques n'apparaîtraient pas au moment où se créé l'univers.
Personne ne sait comment trancher cette question essentielle.
 
 
 
 
 
Le vif du sujet
 
Après ces remarques introductives, E. Klein aborde la question de l'origine de l'univers.
Il remarque que dans les cosmogonies anciennes, il y avait un "déjà là", pas encore organisé, de l'ordre de l'immanence.
Avec les religions monothéistes, l'origine de l'univers est à trouver dans un acte fondateur extérieur à l'univers (Fiat Lux).
On est dans l'ordre de la transcendance. L'univers est contingent : Dieu aurait pu décider de ne pas le créer, alors que dans les cosmogonies antérieures, il existe un déterminisme : l'univers est là de toute éternité.
 
Les cosmogonies, les textes sacrés des monothéismes, les œuvres des philosophes, les travaux des physiciens, traitent tous à des degrés divers de l'histoire de l'univers. Mais le physicien du 20ème siècle ne dit pas la même chose que celui du 19ième siècle lorsqu'il affirme que l'univers a une histoire : au 19ème siècle, la physique traitait de l'évolution des corps célestes au sein de l'univers alors qu'au 20ème, c'est l'univers lui-même qui devient un objet d'étude.
C'est le formalisme de la relativité générale qui a permis cela à partir des années 20.
Georges Lemaître est le premier à affirmer que c'est l'espace temps qui se dilate, les galaxies étant (pratiquement) immobiles au sein de celui-ci.
 
Georges Gamow observera que l'univers devient de plus en plus "chaud" quand on remonte dans le temps.
De là l'idée d'un instant zéro où la densité et la température de l'univers est infinie (idée déjà présente dans la théorie de l'atome primitif de Georges Lemaître). On mesure ici le poids de la culture occidentale et de son Fiat Lux.
La difficulté toutefois est que la théorie qui permet ce "retour dans le temps" est la relativité générale qui est une théorie de la gravitation. Or cette dernière est valide lorsque la force de gravitation domine fortement les 3 autres forces d'interaction fondamentales (forte, électromagnétisme, faible).
Mais cela n'est plus le cas lorsque la distance entre les particules devient très petite.
A ce stade, la théorie pertinente est la physique quantique, la relativité générale devenant inopérante.
On bute ici sur le "mur de Planck". Dans cette période de l'évolution de l'univers, l'énergie des particules est fantastique (1 proton avait l'énergie d'un TGV alors que dans le LHC, il atteint celle d'un moustique en vol et c'est déjà un exploit!)
 
Certains présentent le mur de Planck comme la 10-43ème seconde de l'univers, suggérant implicitement qu'il y a donc un temps zéro.
Ici encore, on retrouve un malentendu qui trouve son origine dans nos schémas culturels marqués par le mythe de la création du monde : la physique actuelle ne peut pas donner un soubassement théorique à un "temps zéro", singularité initiale de densité et température infinies. D'ailleurs les théories en cours d'élaboration (cordes, branes, supercordes, gravité quantique à boucles), proposent des modèles alternatifs dans lesquels, par exemple, existerait un seuil de température maximal, très grand, mais pas infini, accréditant la thèse d'une contraction de l'univers précédant le "Big Bang.
 
La difficulté majeure de ces théories d'unification des 4 forces d'interaction est leur validation expérimentale : il faudrait accéder à des domaines d'énergie absolument considérables : ainsi la découverte du boson de Higgs a-t-elle été rendue possible par le fait que dans le LHC les physiciens ont été capables de créer les conditions de densité d'énergie qui prévalaient "seulement" à la 10-13ème seconde de l'univers.
On est encore très loin (et peut-être pour toujours) des conditions du mur de Planck!
 
 
Conclusion : la question de l'origine de l'univers reste une question ouverte!
 
 
André Oudiz
 

CR de Jean Pierre TREUIL :

L'Univers a t-il un instant zéro ?
Notes prises lors de la conférence d'Etienne Klein, 12 mars 2014 à la FIAP Jean Monnet, 
(Cycle des conférences de la Société Astronomique de France)
Jean Pierre Treuil, 13 mars 2014
...

Certains cherchent la transcendance dans la méditation ou la prière ;
d’autres la cherchent dans le service qu’ils rendent à leurs proches ; 
d’autres encore, qui ont la chance de posséder un talent particulier
cherchent la transcendance dans la pratique artistique.
La science est un chemin alternatif pour qui veut se consacrer 
aux questions les plus difficiles que pose la vie.
Lee Smolin, Rien ne va plus en physique, coll Points Sciences, p 13

Préambule : L'éthique dans les sciences.

Lorsqu’on évoque les questions d’éthique ou de morale en science, c’est en premier lieu avec cet arrière plan que la science dit «ce qui est» et non «ce qui doit être». Par exemple, elle dit que l’on peut créer des OGM et comment le faire, mais elle ne dit pas si l’on doit le faire. D’aucuns estiment que l’on ne peut en rester là et que les chercheurs doivent s’interdire de chercher dans des directions potentiellement dangereuses.
 
Étienne Klein situe l’exigence éthique en sciences sur un autre plan : bien parler de ce que nous savons. Autrement dit, faire en sorte que les discours présentant les résultats obtenus par les sciences n’induisent pas dans le corps social des idées fausses. Et ne fassent pas sous-estimer les changements qu’ils apportent - ou devraient apporter- dans notre vision de l’univers et de nous même.
 
Étienne Klein évoque un exemple, celui du Principe d’Incertitude d’Heisenberg, avec un énoncé tel que «on ne peut mesurer simultanément de façon exacte la position et la vitesse d’une particule». Cette formulation laisse entendre que 1) les notions de positions et de vitesses sont pertinentes à toutes les échelles et que 2) c’est notre pouvoir de connaître ces grandeurs qui est limité. Cette présentation des choses, au cœur des discussions et de l’interprétation de la Physique Quantique, est contestable. Parler de la position et de la vitesse d’un objet est tout à fait justifié et pertinent à l’échelle  «macroscopique», celle de notre expérience sensible. Cela s’avère une erreur, un obstacle à la compréhension des choses, lorsqu’on veut décrire ce qui se passe dans l’infiniment petit, au niveau «microscopique» des particules élémentaires. Ce sont d’autres concepts qu’il faut alors mettre en oeuvre. C’est bien une révolution conceptuelle que la Physique quantique a introduit dans la première moitié du XX siècle. Il est du devoir, pour les acteurs de la transmission des connaissances, d’en faire prendre conscience. Et de parler de ces nouveaux concepts, de les expliquer au public, même si c’est difficile, avec le plus de clarté et pourrait-on-dire, le plus d’honnêteté possible.
 
Pourquoi cette introduction par le biais de l’éthique ?
Bien sûr le conférencier, en introduisant sa conférence par ce rappel, avait à l’esprit le caractère pernicieux du terme de big bang. Caractère pernicieux, car ayant imposé dans un large public - Klein dit «enkysté dans la culture» l’idée d’un «début» d’un «instant zéro»  de l’univers, avant même qu’une discussion - physique et philosophique - ait pu se développer.
 
Qu’est ce que «rechercher l’origine de ...» ?
 
On emploie le terme d’origine de plusieurs façons :
•en évoquant, en rapport avec l’état actuel des choses, un état, un évènement originel dont cet état actuel est issu. Étienne Klein rappelle à ce sujet les recherches menées à la fin du XIX siècle sur l’origine du langage : en fait il s’agissait d’une recherche de la  «langue originelle», une langue dont toutes les langues actuellement en usage auraient dérivé. 
•en essayant de comprendre par quels processus quelque chose qui n’était pas est advenu. En prenant toujours comme exemple le domaine linguistique, la recherche de l’origine du langage devient la recherche des conditions biologiques, cérébrales,  environnementales, qui ont conduit à l’apparition du langage.
 
Dans le contexte cité, celui du langage, les deux emplois de l’expression «rechercher l’origine» ont quelque rapport : c’est à chaque fois la recherche d’un lien entre une chose,  dans le passé, et une autre, postérieure. Mais en allant plus loin, une différenciation apparaît. On aboutit en effet à distinguer :
•une conception relative de l’origine. Les facteurs qui ont permis ou rendu nécessaire l’apparition d’une nouvelle chose, facteurs dont on peut à leur tour rechercher l’origine,  dans une récurrence sans fin.
•une conception absolue. Rechercher l’origine, c’est rechercher une cause «première»,  qui n’est pas elle même l’effet d’une autre cause. Ou encore un fondement logique, un axiome d’où découle tout ce que l’on peut dire, ou encore tout ce qui peut ou doit exister.
 
Et alors, la question de l’origine de l’Univers ?
 
Considérons cette question successivement dans les deux conceptions - relative et absolue - du terme d’origine
•La conception relative. Il s’agit de comprendre par quels processus l’Univers est advenu.  Mais l’Univers étant par définition tout ce qui existe, penser l’origine de l’Univers en ces termes c’est penser comment «l’absence de toute chose» a pu engendrer la présence de quelque chose. Comment du «non être» a pu surgir l’ «être», du néant a pu surgir l’existant. Mais, comme l’a redit Étienne Klein à la fin de sa conférence, imaginer cette transition implique de penser le néant. Mais penser le néant, c’est nécessairement en faire quelque chose, le transformer en un être qu’il n’est pas. On se heurte à une contradiction. Un mystère...
•La conception absolue. On affirmera l’existence d’une «Origine» extérieure à l’Univers,  une Origine «transcendante» faisant de l’Univers un objet contingent quelque chose qui donc aurait pu ne pas être, à moins d’affirmer que l’Univers implique sa propre existence,  qu’il est lui même sa propre Origine absolue. La première option est celle des religions monothéistes, avec l’idée de Dieu. Une variante de cette option donne ce statut transcendant aux lois contrôlant la dynamique de l’univers : la gravitation, les forces 
électromagnétiques et nucléaires. Ces lois auraient ainsi «créé» les objets empiriques,  les électrons, les quarks, etc, auxquels elles s’appliquent. Mais comment l’auraient elles pu ? Peut -on imaginer ces lois en dehors du monde des objets, dans un «monde des lois» préexistant, comme le monde des idées de Platon ? Et comportaient-elles en elles la nécessité de l’existence des objets ? 
 
Quittons (provisoirement ?) ces questions philosophiques et revenons à la science.
 
Ce qui est du domaine de la science, à savoir la cosmologie et la physique des particules,  c’est de se placer dans la conception relative de l’origine, mais en l’appliquant, non plus à l’univers en tant que tel, mais à un certain état particulier de l’univers. Cet état particulier auquel les physiciens s’intéressent, c’est la situation de l’Univers lorsqu’il a franchi «le mur de Planck».
La question de l’origine est alors, comment cet état particulier est-il advenu.
 
Encore un Mur ?
 
Le mur de Planck (du nom du physicien allemand Max Planck, 1858-1947, fondateur de la Physique Quantique. On a donné le nom de Planck au dernier satellite - lancé le 14 mai 2009 - dédié à l’observation de la «première lumière»,  celle du fond diffus cosmologique) introduit une coupure dans l’histoire de l’Univers, une sorte d’obstacle à franchir. Mais, comme nous allons le voir, c’est une coupure pour ainsi dire «provisoire»,  liée à l’état actuel de nos connaissances et de notre capacité de compréhension. 
 
L’Univers a une Histoire
 
On dit souvent que c’est seulement au XX siècle qu’on a découvert que l’Univers avait une Histoire.
Étienne Klein s’inscrit en faux contre cette affirmation et en souligne les dangers.  En fait, toutes les cosmogonies - les discours que les différents peuples ont tenu sur l’Univers - racontent des histoires sur le Monde, par exemple le passage du chaos a un état organisé. Ce qui a de nouveau au XX siècle, c’est l’apport, la révolution qui a résulté de la Relativité générale. Non seulement le contenu de l’Univers, les objets qui y résident,  ont une histoire. Par exemple les étoiles, les galaxies, naissent, évoluent, se capturent,  meurent... et nous aussi !. Mais le contenant, l’espace lui même et donc l’objet Univers en tant que tel, se transforme. 
 
Cette nouvelle donne résulte de la conjonction de plusieurs avancées scientifiques majeures : une théorie de la gravitation, la Relativité générale d’Einstein (théorie élaborée, rappelons le, entre 1907 et 1915); des observations faites dans les années 1920, celles de Hubble.
Cet astronome - à partir du  «décalage vers le rouge» de la lumière des galaxies, a été amené à conclure que les galaxies se fuyaient les unes les autres, et ce, d’autant plus rapidement qu’elles étaient mutuellement plus éloignées.
Georges Lemaître (Prêtre belge et Astrophysicien, 1894-1965. Il est mort juste après la découverte par Penzias et Wilson du rayonnement du fond diffus cosmologique, une des traces du Big Bang), en étudiant les équations de la Relativité générale, avait acquis la certitude que l’Univers ne pouvait être statique :  l’espace impliqué dans ces équations devait nécessairement se contracter ou se dilater.  Les observations de Hubble l’ont alors amené a réinterpréter cette «récession des galaxies» non pas comme une fuite, mais comme une dilatation de l’espace lui même, qui entraîne les galaxies dans son mouvement d’expansion. La Relativité générale s’étant vue confirmée par d’autres observations indépendantes, l’idée de l’expansion de l’Univers s’est peu à peu imposée.
 
Fiat Lux 
 
Tout cela est maintenant bien connu et fait l’objet d’un large consensus parmi les scientifiques concernés. Très vite bien sûr l’idée est venue de «tourner le film à l’envers» :  Grossièrement, puisque l’espace se dilate et puisque rien ne se perd ni se crée  (conservation de la matière et de l’énergie), l’univers était donc dans le passé plus resserré, plus dense, plus chaud dans le passé. Connaissant sa vitesse de dilatation, on pouvait ainsi calculer le temps passé depuis l’instant où la taille (Ce terme de taille est ambigu ; ici encore se pose le problème de bien parler de ce que nous savons. Cela mériterait un plus long développement. Disons que dans cet état hypothétique de l’Univers, toute distance est nulle. Comme si, pour prendre une image, la distance entre Paris et Lyon, Marseille et Brest, Brive et Marseille, etc, était devenue égale à zéro.) de l’Univers était nulle, sa densité et sa température infinies... et partant de là, le temps écoulé depuis l’instant zéro,  la «Singularité» permise par les équations d’Einstein, le début de tout. Et cette idée d’être aussitôt accueillie, dans une culture qui considère que l’Univers a été créé, et qui a même donné la date de sa création. Rappelons nous les 6000 ans du catéchisme de notre enfance, nous les anciens !
Une nouvelle si bien accueillie par l’Église, que le Pape Pie XII  (d’après ce que l’on dit, je n’y étais pas !) voulait féliciter Georges Lemaître, qui se trouvait être abbé, d’avoir prouvé l’existence de Dieu. Mais l’intéressé avait aussitôt démenti.
 
Au delà de cette limite, les équations ne sont plus valables
 
L’évocation d’un instant zéro était en effet à tout le moins prématurée. Car les équations de la Relativité générale, théorie de la gravitation, ne peuvent rendre compte correctement de la dynamique de l’Univers que sous certaines conditions.
A savoir que les forces de gravitation soient dominantes, aux échelles considérées, en comparaison des autres forces, électromagnétiques et nucléaires. Or ce n’est plus le cas lorsque l’univers devient trop dense.
Dans la dynamique globale de l’Univers d’alors, toutes les forces - et non la seule force de gravitation - jouent un rôle important, aucune ne peut être négligée. On ne peut plus décrire ce qui se passe, établir la physique de l’univers dans cet état, sans mobiliser simultanément la Relativité générale (forces de gravitation) et la Mécanique quantique (les autres forces). Or les formalismes de ces deux théories sont pour le moment inconciliables.
La raison en tient à ce qu’elles n’utilisent pas la même notion d’espace-temps. Dans la Relativité générale le contenant - l’espace-temps - est lié au contenu - la matière, l’énergie - et évolue avec lui. Dans la Mécanique quantique l’espace-temps (en fait celui de la Relativité restreinte) est comme une scène de théâtre,  indépendante du jeu des acteurs. 
 
Ainsi au stade des connaissances actuelles, il n’y a plus d’instant zéro, car les équations de la Relativité générale, au delà d’une certaine limite, ne sont plus pertinentes pour rendre compte de la dynamique de l’Univers. Cet état limite de l’Univers, au delà duquel - 
quand on remonte dans le temps - manque la théorie qui permettrait d’en faire la physique, est nommé le «mur de Planck» Bien sûr, c’est un mur pour nous, pour notre compréhension, et non pour l’Univers lui même qui l’a franchi sans rien remarquer de particulier !  4
 
Franchir le mur : la recherche continue, heureusement, mais combien difficile.
 
Pour franchir le mur de Planck, avoir quelque idée de ce qui se passe de l’autre coté,  plusieurs pistes sont suivies. 
 
Les pistes de la recherche théorique : Nul n’y entre s’il n’est géomètre.
 
La Relativité générale et la Physique quantique sont nées à la même époque, au début du XX siècle. Très vite on a cherché à les réunir. Ce problème est le premier des cinq problèmes énoncés par Lee Smolin5dans le livre mentionné dans l’exergue, avec 2) le statut exact de la Physique quantique et son interprétation - marque t-elle ou non, par exemple, une limite à notre capacité de connaître ; 3) les différentes forces identifiées dans la nature - gravitation, forces électromagnétiques, nucléaires - peuvent elles être unifiées dans une seule théorie ; 4) les valeurs prises par les constantes en oeuvre en physique - pourquoi les valeurs observées et non pas d’autres, différentes, et d’ailleurs sont elles vraiment constantes ? et enfin 5) la nature de la matière noire et de l’énergie sombre, voire leur existence effective en regard de théories modifiant la gravitation aux grandes échelles.
Si je mentionne ces cinq problèmes majeurs non évoqués explicitement par Étienne Klein dans sa conférence, c’est que leurs solutions, comme on peut l’imaginer spontanément, pourraient être liées. 
 
Plusieurs pistes ont été dessinées. Elles consistent toutes à concevoir de nouvelles structures d’espace-temps, toujours en se plaçant dans cette branche majeure des Mathématiques qu’est la Géométrie. Par exemple en introduisant des dimensions supplémentaires, ou encore en faisant l’hypothèse qu’aux très petites échelles l’espace et le temps puissent être discontinus- existence de grains d’espace, de sauts discrets du temps. Ces pistes s’appellent théorie des cordes, des super-cordes, des branes, gravité quantique à boucle ... Toutes font appel à la puissance d’expression des Mathématiques - Théorie des variétés, Théorie des Groupes.... Toutes avancent des arguments en leur faveur, mais aucune n’a pu encore proposer - semble-t-il - des tests observationnels ou expérimentaux qui soient actuellement réalisables et qui permettent de les rejeter ou de conforter leur validité.
 
Toutes concluent cependant à l’impossibilité d’un état de l’univers de taille nulle, de densité et de températures infinies. Dans toutes ces pistes, la «Singularité», l’instant zéro des équations de la Relativité générale, disparaît. Les pistes expérimentales;
Créer des conditions s’approchant du mur de Planck. C’est ce que font, par exemple, les chercheurs du CERN à Genève, sur la frontière franco suisse. Mais il faut savoir que les niveaux d’énergie correspondant au mur sont actuellement hors de portée dans la puissance à atteindre, et peut être le resteront-ils dans l’avenir. On sait bien en effet caractériser ce fameux mur en terme d’énergie.
Par exemple, pour prendre une image familière, son niveau d’énergie est tel que - je cite E.  Klein - chaque particule possède une énergie équivalente à celle d’un TGV en pleine vitesse. Or dans la grand «collisionneur» du CERN, le LHC, qui précipite des milliards de protons (noyaux d’hydrogène) les uns contre les autres à des vitesses proches de celle de la lumière, les protons voués aux crashs ont grosso-modo - chaque proton - l’énergie d’un moustique en vol ! C’est déjà énorme, quand on sait la petitesse d’un proton par rapport à  celle d’un moustique, puisque ce dernier est environ mille milliards de fois plus gros. Cette énergie a permis de faire surgir le boson de Higgs. Mais on est encore très très loin du TGV !
 
Les pistes d’observations cosmologiques : Trouver des traces dans la structure des signaux reçus du fond de l’Univers. 
 
Par exemple dans l’analyse de la première lumière (celle du fond diffus cosmologique, le CMB). Ou encore dans l’analyse d’éventuelles ondes gravitationnelles (Expérimentations en cours). A l’heure ou j’écris ces lignes (17 mars 2014), vient de paraître précisément un 
communiqué de physiciens américains (John Kovac et al.) annonçant avoir détecté la signature d’ondes gravitationnelles dans la polarisation du rayonnement du fond diffus, à partir des observations d’un télescope installé en Antarctique (
Un bel exemple de concurrence positive, entre américains et européens. Les astrophysiciens européens travaillent actuellement sur les données fournies par le satellite Planck, concernant le même phénomène,  savoir la polarisation de la lumière du fond diffus et ses relations avec d’éventuelles ondes gravitationnelles.  La présentation de leurs résultats est prévue pour bientôt. Les résultats des uns et des autres, s’ils se confirment mutuellement, seront effectivement une avancée majeure). Cette signature confirmerait un des mécanismes proposé pour la dynamique de l’ère de Planck, le mécanisme d’inflation. Mais déjà, dans le communiqué lu sur orange.fr, peux t-on lire que cette avancée «porte un nouvel éclairage sur certaines des questions les plus fondamentales, à savoir pourquoi nous existons et comment a commencé l’univers» Un exemple significatif de ce qui a été dit au début de la conférence, à savoir le risque de confusion lié à l’emploi de termes comme pourquoi, a commencé. Ne revient-t-on pas (inconsciemment chez les rédacteurs ou les traducteurs ?) à cette idée de création et qui plus est création intentionnelle ? Est ce là une fois de plus «bien parler de ce que nous savons» ?
 Jean Pierre TREUIL
 
La conférence a été suivie par une longue séance de questions.
 
 
Elle s’est terminée par des dédicaces de livres amenés par le public.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
POUR ALLER PLUS LOIN :
 
QUELQUES OUVRAGES D’ETIENNE KLEIN. (liste non exhaustive)
 
Le Temps et sa flèche chez Flammarion/Champs avec Mspiro : un classique !
 
Le facteur temps ne sonne jamais deux fois chez Champs/Sciences.
 
Il était sept fois la révolution : Albert Einstein et les autres... chez Champs/Sciences
 
Petit voyage dans le monde des quanta chez Champs/Sciences
 
Discours sur l'origine de l'univers chez Champs/Sciences
 
Le temps existe-t-il ? chez Pommier.
 
En cherchant Majorana chez Flammarion Essais.
 
 
EN VIDÉO :
 
La vie d'Ettore Majorana et la nature des neutrinos sur YouTube.
 
Que savons-nous du temps ? sur YouTube.
 
LE BOSON DE HIGGS - ETIENNE KLEIN
 
Les fondements de la physique quantique. France TV éducation.
 
Le temps existe-il ? sur YouTube CEA Saclay .
 
 
 
 
Bon ciel à tous
 
 
Jean Pierre Martin   Président de la commission de cosmologie de la SAF
www.planetastronomy.com
Abonnez-vous gratuitement aux astronews du site en envoyant votre nom et e-mail.