mise à jour le 15
Juillet 2006
CONFÉRENCE
"ANISOTROPIES DU FOND DIFFUS COSMOLOGIQUE ou
Une fenêtre vers l'Univers primordial"
Par Ruth DURRER
Département de
Physique Université de Genève,
Organisée par l'IAP
98 bis Av Arago,
Paris 14 ème
le
mardi 11 Juillet 2006 à 19H30
Photos : JPM.pour
l'ambiance (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées
directement)
BREF COMPTE RENDU
Ruth Durrer est
professeur de physique au département de physique théorique de l'Université de
Genève; c'est une experte entre autres du bruit de fond cosmologique (CMB :
Cosmic Microwave Background) et de l'Univers primordial.
Elle nous parle ce
soir en conclusion des conférences publiques données dans le cadre du colloque sur la cosmologie
inflationnaire organisée par l'IAP, des anisotropies du CMB et de leurs liens
avec l'Univers primordial.
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Public toujours aussi présent et
passionné malgré la période de vacances, pour ces sujets d'astrophysique
fondamentale.
Voilà la photo qui va nous guider
pendant toute cette conférence : le CMB tel que mesuré
par le satellite WMAP.
Quelques rappels avant d'entrer dans le
sujet.
L'UNIVERS EST HOMOGÈNE ET
ISOTROPE.
C'est le principe cosmologique,
à grande échelle l'Univers est homogène
(identique à lui même partout) et isotrope (identique à lui même dans toutes
les directions), cela veut dire qu'il est le même en tous les endroits et qu'il
n'y a pas de direction privilégiée.
Cela veut dire aussi accessoirement,
qu'il na pas de centre ni de bords!!!
Un espace de cette nature est à
courbure constante K; il est soit en expansion soit en contraction.
Sa métrique, c'est à dire en
simplifiant , la distance entre deux points est donnée par un facteur d'échelle
a(t) qui dépend du temps.
Le contenu matériel de cet espace est
donné par sa densité d'énergie r et la pression P.
La relation de la pression en fonction
de la densité P(r) est appelée
équation d'état, comme pour les fluides ordinaires.
Suivant l'hypothèse de la composition
de l'Univers cette équation peut se simplifier : (voir cours de cosmologie)
·
Univers composé
uniquement de matière non relativiste : P = 0
·
Univers composé
uniquement de rayonnements : P = r/3 (en effet la pression est générée par l'impulsion des
photons qui est égale a son énergie (divisée par la vitesse de la lumière).
Comme en moyenne cette impulsion est dirigée vers une de trois dimension elle
génère une pression P=r/3
·
Univers uniquement
composé de "vide" P = -r = Λ/8πG
où Λ est la constante
cosmologique.
Une remarque sur Λ , la
constante cosmologique
: c'est un terme qui apparaît dans les équations de la relativité générale
d'Einstein . Son absence impliquait que l'Univers était en expansion:
impensable pour Einstein à cette époque, il ajoute cette constante pour
retrouver un modèle d'Univers statique;
modèle en vogue au début du XXème siècle.
30 ans plus tard, Einstein se rallia à
la thèse de l'Univers en expansion et reconnu son erreur, il supprime cette
constante.
Depuis les années 1990, on a découvert
que la lumière des objets les plus lointains (supernova) suit un trajet
différent de celui expliqué classiquement par la présence de la matière, il y
aurait une énergie inconnue (noire) qui dominerait l'Univers et rendrait cette
expansion accélérée. Il faut certainement remettre cette constante dans les
équations.
La distance L entre deux points est
proportionnelle au facteur d'échelle, et alors deux objets (galaxies par
exemple) s'éloignent l'un de l'autre suivant la fameuse loi de Hubble avec la
vitesse v telle que :
V
= (dérivée de L) = H L avec H = constante de
Hubble H = 70 km/s/Mpc (Mpc = Méga parsec)
Un photon de longueur d'onde l émis au temps t dans le passé, est détecté aujourd'hui au temps t0
il est de longueur d'onde l0, l'Univers étant en expansion, il
subit un décalage
vers le rouge (moins d'énergie) dû à l'effet Doppler, tel que :
l0
= [a(t0)/a(t)] l =
(1 + z) l
où z = facteur de redshift (ou décalage spectral)
La distance d'un photon émis au temps t
dépend du contenu matériel de l'Univers et donc de l'équation d'état P(r).
On introduit maintenant la densité critique
de l'Univers afin de travailler sur des nombres sans dimensions.
Cette densité critique rc est la densité d'énergie que l'on doit avoir dans un
Univers en expansion pour que sa courbure soit nulle (K=0).
(pour info cette
densité critique est de l'ordre de ….2 atomes H par m3!!!!)
On peut maintenant définir les
paramètres de densité par rapport à cette densité critique.
Ces valeurs ont été confirmées par
diverses observations qui se recoupent, ce sont les contraintes cosmologiques
actuelles que l'on peut voir sur le graphique suivant (©R Knop et al).
En abscisse la densité de matière, en
ordonnées la densité d'énergie.
Ces observations sont basées sur
l'étude des SN.
Il y a recoupement autour des valeurs
annoncées plus haut.
HISTOIRE THERMIQUE DE
L'UNIVERS.
La température actuelle du rayonnement
cosmologique est de :
T0 = 2,7372K +/- 0,001K
La température est bien entendu
dépendante du temps t et donc du facteur z par la formule :
T(t)
= T0 (1+z)
Le spectre thermique de l'Univers a été
mesuré dans toutes les longueurs d'ondes, c'est le meilleur spectre jamais
mesuré.
Dans le passé l'Univers était beaucoup
plus dense et beaucoup plus chaud qu'aujourd'hui.
Quelques instants importants et
caractéristiques :
Une remarque : en régressant vers le
passé, la densité de radiation croit comme (1+z)4 alors que la
densité de matière ne croit que comme (1+z)3. il existe donc un
point dans le passé où la densité de radiation qui dominait la matière au début
a diminuée pour être égale à la densité de matière, c'est la période
d'équivalence, elle se situe pour aux alentours de 10.000 ans.
On remonte le passé :
·
Au moment de la
recombinaison (image du CMB) c'est à dire approximativement à zR =
1300 TR = 3500K = 0,3eV, il n'y avait pas assez de photons avec une
énergie au dessus du seuil d'ionisation de l'Hydrogène (13,6eV) pour garder
l'Univers ionisé, protons et électrons se combinent enfin, l'Univers devient
transparent.
·
À Tnuc =
0,8 Mev soit 109K les éléments légers se forment à partir de p et n,
c'est la nucléosynthèse primordiale.
·
À Tdec =
1,4Mev les neutrons se découplent.
·
À Tconf =
200Mev, le plasma de quarks et de gluons est confiné en p et n
·
À Tew =
200Gev la transition électrofaible (electroweak en anglais) a lieu.
·
Avant c'est la zone
sombre, l'ère de Planck.
PROBLÈMES AVEC LE MODÈLE
STANDARD : INFLATION.
La cosmologie standard telle qu'elle a
été décrite jusqu'à maintenant pose au moins deux grandes questions :
LE
PROBLÈME DE L'HORIZON.
L'horizon correspond à la distance
qu'un photon peut traverser depuis le BB jusqu'à l'instant t.
Par exemple au moment de la
recombinaison (vers 300 à 400.000 ans) la taille de l'horizon est vue dans le
ciel sous un angle de 1°.
Alors pourquoi la photo thermique du
ciel prise par WMAP (voir plus haut) est elle si étonnement homogène (tous les
points du ciel ont la même température à 10-5 près) alors que la
plupart des points n'avaient aucun lien entre eux et aucune information sur ses
voisins?
LE
PROBLÈME DE LA PLATITUDE.
Pourquoi après tant d'années
d'existence notre Univers semble si plat (courbure presque nulle), est ce un
hasard, quel phénomène physique peut il expliquer cela?
LA
SOLUTION À CES QUESTION : L'INFLATION.
Une phase d'expansion ultra accélérée a
eu lieu au tout début de l'Univers qui a tout aplati et toutes les distances
sont prodigieusement augmentées en un temps très bref, ce qui explique
l'horizon.
L'échelle de
l'Univers change de 1040 en l'espace de 10-32 secondes,
l'Univers mesurait 1cm!
L'inflation a été décrite maintes fois
dans ce site, voir les archives de cosmologie.
L'inflation répond aussi aux petites
fluctuations locales de température que l'on constate, ce sont des petites
instabilités gravitationnelles qui ont été amplifiées et ont donné naissance
aux grandes structures que l'on voit dans le ciel.
À grande échelle par contre l'Univers
est bien parfaitement homogène et uniforme. Il est aussi animé d'une vitesse
d'expansion de l'ordre de 70km/s/Mpc.
L'inhomogénéité à "petite"
échelle, peut se remarquer dans les études systématiques de répartition des
galaxies comme celle du catalogue
2dF.
LE BRUIT DE FOND CMB .
Le fond diffus cosmologique (CMB) quand
on l'étudie en détail, est extrêmement isotrope.
Sur le graphique de gauche on remarque
que la température est uniforme : 2,7K.
L'échelle des couleurs est 0 pour le
bleu et 4K pour le rouge.
Lorsqu'on essaie d'avoir un peu plus de
précision de mesure , on remarque des variations de 3mK, mais celles ci sont
dues au mouvement du Soleil.
L'échelle des températures pour ce
graphe est de 2,721K pour le bleu et 2,729K pour le rouge.
La figure du bas encore plus précise
montre le CMB après soustraction de ce dipôle dû au Soleil, les fluctuations de
température sont de l'ordre de la dizaine de micro K. les régions
"chaudes" sont en rouge et "froides" en bleu.
C'est le plan galactique que l'on voit
au centre.
LES
ANISOTROPIES DU CMB.
Avant la recombinaison, les photons qui
vont constituer plus tard le CMB sont en équilibre thermique avec les électrons
et les protons, ils participent aux oscillations du plasma cosmique.
Après la recombinaison les photons
n'interagissent plus mais ils se déplacent le long de géodésiques (chemin le
plus court entre deux points dans l'espace).
Les oscillations qui ont eu lieu avant
la recombinaison sont figées sur cette surface appelée aussi surface de
dernière diffusion.
Un autre effet sur les fluctuations du
CMB est l'amortissement de Silk (Silk damping en anglais).
Lié au fait que la surface de dernière
diffusion n'est pas infiniment mince, et ce phénomène se produit pour des
libres parcours moyen des photons non nuls.
Les photons voyagent de zones à forte
densité vers des zones à plus faible densité, entraînant avec eux des électrons
par diffusion Compton, cela atténue (to damp en anglais) les fluctuations et
est connu sous le nom d'amortissement
Silk.
LE SPECTRE.
Le graphique
important est ce qu'on appelle le spectre de puissance (Angular Power Spectrum
en anglais) qui représente de combien varie la température en chaque point du
ciel. C'est une analyse statistique des fluctuations.
Graphique Hinshaw
et al 2006 basé sur les dernières données de WMAP.
L'échelle horizontale inférieure peut être
considérée comme étant proportionnelle au nombre d'ondes (inverse de la
longueur d'onde); l'échelle horizontale supérieure correspond à l'échelle
angulaire du ciel; l'échelle verticale est proportionnelle aux carrés des
fluctuations de température.
Le grand pic
correspond à l'harmonique fondamental (comme pour un instrument de musique) qui
indique la taille typique d'un "grumeau" du ciel approximativement
1°. Les pics secondaires (les "harmoniques") donnent d'autres
informations complémentaires.
La gauche du
spectre est celle qui s'éloigne le plus de la courbe idéale, il y a des
anomalies locales. Cela correspond aux "basses fréquences" comme la
perte de puissance dans les graves d'un instrument de musique, c'est à dire aux
grandes échelles angulaires.
La courbe rouge
est la meilleure approximation correspondant au modèle cold dark matter avec
constante cosmologique.
Les mesures et observations actuelles
prêchent en faveur d'un modèle avec constante cosmologique comme on le voit sur
le graphique suivant (© Verde et al 2004) correspondant aux différentes
contraintes.
Représente en fonction des densité
matière (horizontal) et énergie les différentes contraintes apportées par les
observations.
En vert les mesures avec SNIa
(chandelles standard).
En orange les mesures de Hubble et de
WMAP.
En bleu les mesures de l'étude 2dF de
Verde et al.
On voit que tout se recoupe vers 0,3 de
matière et 0,7 d'énergie.
CONCLUSIONS.
Le CMB est un outil observationnel
superbe et simple pour en apprendre plus sur notre Univers.
Les paramètres cosmologiques sont
connus avec une extrême précision qui ne peut que s'améliorer dans le temps.
Le modèle d'inflation semble s'adapter
parfaitement.
Mais il reste des inconnues :
Qu'est ce que la matière noire?
Qu'est ce que l'énergie noire?
L'avenir nous le dira peut être.
POUR
ALLER PLUS LOIN.
Voir aussi la
conférence précédente sur les cordes cosmiques et les défauts topologiques.
La
page personnelle de notre
conférencière Ruth Durrer.
Cours de cosmologie
de la SAF par J Fric à lire absolument (pdf).
Le fond diffus CMB par
l'IN2P3 (Université Paris 6 et 7).
L'Univers
de la cosmologie moderne, conférence de JM Alimi pour l'année Einstein.
La Courbure de
l'Univers de JP Luminet.
La
forme de l'espace, compte rendu d'une conférence de JP Luminet à l'IAP.
Le site de N
Rumiano sur la
cosmologie, à voir aussi absolument. Notamment la problématique de
l'horizon.
Cosmologie et super nova
Ia par l'IN2P3, document pdf de 4MB.
Le CMB
par nos amis anglais du Cavendish Laboratory.
Le
CMB chez Wikipedia, assez complet et simple.
Inhomogeneities in the Universe,
présentation PPT de 2,4MB en anglais de R Durrer (attention beaucoup de
formules).
C'est tout pour
aujourd'hui!
Bon ciel à tous
Jean Pierre Martin
http://www.planetastronomy.com/