Mise à jour 24 Décembre 2018
CONFÉRENCE MENSUELLE DE LA SAF
« LA MISSION JUICE DE L’ESA,
VERS LES LUNES GLACÉES DE JUPITER. »
Par Olivier WITASSE
Planétologue à l’ESA
À TelecomParisTech 46 rue Barrault Paris 13.
Le Vendredi 14 Dec 2018 à 19H00
Amphi Thévenin
Photos : JPM pour l'ambiance
(les photos avec plus de résolution peuvent
m'être demandées
directement)
Les photos des slides sont de
la présentation de l'auteur. Voir
les crédits des autres photos et des animations.
Le conférencier a eu la
gentillesse de nous donner sa présentation, elle est disponible sur
ma liaison ftp et se nomme :
JUICE-Witasse-SAF Dec2018.pptx qui se trouve dans le dossier
CONF-MENSUELLES-SAF/ saison 2018-2019.
(Dossier « épais » car contient
beaucoup d’animations. Un dossier pdf sans animations 100 fois moins dense est
aussi fourni : JUICE-Witasse-SAF Dec2018.pdf.
Ceux qui n'ont pas les mots de
passe doivent me
contacter avant.
Cette conférence a été filmée
en vidéo (grâce à UNICNAM et IDF TV, merci à Laurent Dongé) et est accessible
sur Internet
On la trouve à cette adresse https://www.youtube.com/playlist?list=PL1ZHG2CIuv2cPc1JHNfsxoigE-JJ4-IrW (le son n'est pas top)
Olivier Witasse avec nos
hôtesses Danielle et Maria qui accueillent le public.
Olivier est spécialiste des
planètes à l’ESA en poste au centre technique de
l’ESTEC à
Noordwijk à côté de La Haye aux Pays Bas. Il est responsable scientifique sur la
mission Juice.
L’ESTEC (European Space
Research and Technology Centre) est le centre européen de technologie spatiale
de l’ESA.
Ce centre emploie 2500
ingénieurs et techniciens dont les nationalités correspondent aux contributions
de chaque pays.
Intéressons-nous aux satellites
des planètes de notre Système Solaire comme on le voit sur
cette illustration, Jupiter a dans son sein 4 gros
satellites (que l’on appelle galiléens car découverts par Galilée). Ils sont tous
différents, et nous allons les étudier.
Cela va être le but de la
mission dont nous allons parler ce soir.
Mais avant quelques rappels sur
Jupiter et son monde.
Si
Io, le plus proche de Jupiter est un monde de feu et de volcans (effets de
marée), celui qui nous semble le plus intéressant est le suivant :
Europe.
EUROPE.
Europe :
3120 km de diamètre, possède très peu de cratères à sa surface, donc surface
jeune.
L’aspect tourmenté de sa
surface, ressemble à des formations d’icebergs dans nos zones polaires.
Cela laisse à penser qu’il
pourrait y avoir un océan d’eau sous cette croûte de glace. C’est en tout cas,
ce que semble indiquer la nouvelle analyse des données de Galileo : la présence
d’un très important volume de liquide sous la croûte glacée d’Europe.
Ces informations vont dans le
sens que cet océan d’Europe pourrait être un habitat potentiel pour une certaine
forme de vie.
Phot : NASA/JPL/Galileo
Hubble a découvert de la
vapeur d’eau s’échappant de la surface d’Europe, dans une région
proche de son pôle Sud.
Cette observation est la
première preuve de présence de vapeur d’eau éjectée de sa surface.
C’est similaire aux geysers mis
au jour sur Encelade, le satellite de Saturne, grâce à Cassini.
Voilà ce que l’on pense être la
structure interne d‘Europe.
Les effets de marée jouent à
plein sur l’orbite d’Europe. À chaque orbite la croûte est tiraillée par ces
forces et provoquent des déformations à sa surface, favorisant ainsi par ces
mouvements un échauffement interne.
Ce qui maintient l’océan
interne liquide dans le temps.
Ces effets de marée provoquent
donc des mouvements de la croûte donnant naissance à des
fissures bien
visibles sur les photos.
Illustration : NASA.
Pour le plaisir :
un survol
d’Europe fourni par la NASA.
GANYMÈDE.
Plus de 5200 km de diamètre,
Ganymède est le plus gros satellite du Système Solaire, il est même
plus gros que Mercure, presque aussi gros que Mars.
Sa surface est plus cratérisée
que celle d’Europe.
C’est un corps complètement
différencié (comme la Terre par exemple).
Ganymède possède son propre
champ magnétique, ce qui est exceptionnellement rare pour un satellite.
Posséder un champ magnétique
est important, si ce n’est essentiel, pour maintenir la vie, car celui-ci
protège des rayonnements nocifs venant de l’espace.
Son champ magnétique provoque
même
des aurores polaires qui ont été détectées par Hubble.
Ganymède est aussi baignée par
le champ intense de Jupiter.
Ce sont les variations de ce
champ qui perturbent l’apparition de ces aurores et qui font en déduire pour de
nombreux scientifiques, la présence d’énormes quantités d’eau salée à
l’intérieur de ce satellite. (voir plus loin)
Illustration de l’intérieur de
Ganymède, basé sur les observations de sa
magnétosphère par Galileo et Hubble.
Un océan d’eau salée serait
pris entre la croûte glacée et un autre manteau de glace plus dense.
Il y aurait plus d’eau sur
Ganymède que sur Terre !
Viennent ensuite le manteau
rocheux et le noyau de Fer.
Crédit : NASA/ESA et A. Feild
(STScI)
CALLISTO.
Callisto
est le plus éloigné des quatre satellites galiléens. 4800 km de diamètre, le sol
similaire à celui de Ganymède bien que plus cratérisé, mais manifestement c’est
un astre mort.
Composé de roches et glaces
mais
non différencié.
Une curieuse
structure annulaire.
Photo NASA/Galileo
LA
MAGNÉTOSPHÈRE DE JUPITER.
On ne peut pas s’intéresser aux
lunes de Jupiter sans s‘intéresser à Jupiter et à son champ magnétique qui
baigne une grande partie de l’espace s’étendant même jusqu’à Saturne.
Comme la Terre, Jupiter possède
un champ magnétique, mais il est approx 20 fois plus intense que celui de notre
planète.
Ce champ crée la magnétosphère,
bulle énorme qui s’étend
jusqu’à Saturne avec une longue queue de plus de 700 millions de km.
Cette magnétosphère est
composée comme sur Terre d’électrons, de protons et d’ions provenant du Soleil,
mais dans le cas de Jupiter, ces particules proviennent aussi de Io qui est très
proche.
Crédit:
John Spencer (Southwest Research Institute)
Si nous étions capables de voir
depuis la Terre la magnétosphère de Jupiter, elle apparaitrait comme sur cette
illustration de gauche.
Elle remplirait l’espace
beaucoup plus que la
pleine Lune.
Crédit NASA
LA
MISSION JUICE.
L’Agence Spatiale Européenne
(ESA), dans le cadre du projet Vision cosmique 2015-2025, a approuvé la mission
vers Jupiter devant être lancée en 2022 de Kourou par une Ariane 5, et baptisée
JUICE, acronyme de
JUpiter Icy moons Explorer.
Après un voyage de 8 ans, elle
atteindra sa cible en 2030.
Ce devrait être une mission de
11 ans à laquelle la France participera activement.
La sonde se mettra en orbite
autour de Jupiter et explorera ses principaux satellites.
Les cibles principales de ce
voyage :
·
L’atmosphère de Jupiter sa magnétosphère et ses aurores
·
Io et ses volcans
·
Europe et Ganymède (les cibles principales) avec leurs probables océans
d’eau salée situés sous la couche de glace
·
Callisto la plus éloignée, glacée aussi.
On s’attachera aussi à étudier
les possibilités d’habitabilités de ces lunes glacées.
On pense, après le passage des
Voyagers et de Galileo que Europe et Ganymède, ces lunes à la surface glacée,
possèdent sous l’épaisse croûte de glace, de très imposants océans d’eau,
probablement salée.
Le calendrier de cette mission
est particulièrement long, comme c’est souvent le cas.
·
Mars 2007 :
appel à proposition
·
Mai 2012 :
Mission sélectionnée
·
Février 2013 :
Sélection des instruments
·
Juillet 2015 :
Maître d’œuvre sélectionné (Airbus)
·
Mai 2022 :
Décollage (Kourou Ariane 5)
·
Octobre 2029 :
Insertion en orbite jovienne
·
Août 2032 :
Insertion en orbite autour de Ganymède
·
Septembre
2033 : Fin de mission.
Il faut donc du temps, de la
patience et la possibilité de passer la main à la génération suivante dans
certains cas !
Rappelons les principales
caractéristiques de cette mission :
·
Voyage
interplanétaire de 7 ans et demi
·
Plus de 6
milliards de km
·
11 instruments
scientifiques
·
Flux solaire
arrivé à Jupiter : 50 W/m2
·
Le plus grand
panneau solaire : 97 m2
·
Très forte dose
de radiations
·
Masse au
lancement 5250 kg dont 2850 de carburant et 218 pour les instruments
Les
instruments :
·
JANUS : Caméra
optique
·
MAJIS
(Moons and Jupiter Imaging Spectrometer) : Spectro imageur visible et IR
·
UVS (UV
Imaging Spectrographe) : Spectro UV
·
SWI
(Sub-millimeter Wave Instrument) : Radio pour étude atmosphères
·
GALA (GAnymede
Laser Altimeter) : Laser altimétrique
·
RIME (Radar for
Icy Moons Exploration) : Radar pénétrant la glace
·
J-MAG (Juice
Magnetometer) : pour étudier le champ magnétique jovien et de Ganymède
·
PEP (Particle
Environment Package) : mesure des densités de particules
·
RPWI (Radio &
Plasma Wave Investigation) : mesure des ondes radio et plasma
·
3GM
(Gravity & Geophysics of Jupiter and Galilean Moons) : étude des champs de
gravité
·
PRIDE
(Planetary Radio Interferometer & Doppler Experiment) : mesure position et
vitesse satellites
Une autre vue d’artiste de
la sonde.
Le
voyage vers Jupiter.
Juice sera lancé en principe en
Juin 2022 par Ariane 5 (il existe des discussions pour savoir si Ariane 6 ne
serait pas mieux) et utilisera de nombreuses assistances gravitationnelles
(Vénus, Terre, Mars) pour atteindre Jupiter fin 2029.
Ce sera le début pour étudier
le système jovien : Jupiter, sa magnétosphère, Europe, Callisto) avant la mise
en orbite autour de Ganymède.
Une remarque, l’arrivée sur
Jupiter se fera par un survol rapproché (400 km) de Ganymède, pour freiner la
sonde autorisant ainsi la mise en orbite autour de Jupiter.
Survols d’Europe en Sept-Oct
2030, puis transfert vers Ganymède en 2032.
Illustration : les survols de
ganymède, GEO de 200 à 10.000 km 150 jours, GCO500 à 500 km d’altitude, 130
jours.
Théoriquement il est prévu :
·
2
survols d’Europe
·
15
survols de Ganymède
·
12
survols de Callisto
·
Orbite finale autour de Ganymède
La fin de mission se fera par
une mise en orbite à 500 km d’altitude autour de Ganymède, en attendant la
destruction progressive de la sonde sur ce satellite.
Les trajectoires sont résumées
sur cette vidéo.
Comment
détecter un océan sous la surface d’une lune de Jupiter ?
On pense tous à un petit robot
qui percerait la couche de glace avant d’envoyer un autre robot sous-marin qui
explorerait l’océan à la recherche de traces de vie.
Est-ce un rêve ?
On se rappelle qu’il y a un lac
souterrain qui n’a jamais vu le jour (le
lac Vostok) en Antarctique et dans lequel on a effectué des
prélèvements : il y avait de la vie !
Crédit : NASA.
On peut donc logiquement se
poser la question suivante : comment
peut-on détecter à distance la présence d’une grande quantité d’eau cachée sous
la surface d’un de ces satellites ?
La réponse courte, c’est : on
peut !
Il y a plusieurs méthodes.
·
Grâce aux
champs magnétiques. : ces océans sont généralement composés d’eau salée,
conductrice de l’électricité. Elle peut générer des champs électriques et
magnétiques secondaires qui perturbent les propriétés du champ du satellite.
·
L’effet des
marées : les mouvements de la croûte dus aux effets de marée dépendent en fait
de ce qu’il y a sous la croûte, logique, un océan diminue les frottements. Sans
océan Ganymède se soulèverait de 1 m, avec la présence d’un océan sous la
croûte, de 8 m !
·
Grâce aux
aurores boréales : le champ magnétique de Ganymède, s’oppose à celui de Jupiter,
cela joue sur l’oscillation des aurores polaires de quelques degrés, qui peuvent
être mesurés. Cela a été fait par Hubble dans l’UV.
|
|
Champ magnétique
autour de Ganymède. Mesure qui implique J-MAG et RPWI Crédits: X.Jia
(Univ.
Michigan) and M. Kivelson (UCLA). |
Influence des
marées sur les lunes de Jupiter, ici sur Europe. Les variations
d’altitude sont mesurées par l’altimètre Laser. Crédit
NASA/JPL/University of Arizona |
À gauche détection
par Hubble des aurores. À droite les variations de ces aurores dues
à l’océan d’eau salée, dessin à gauche sans océan (6° attendus) et à
droite avec océan (2°). Crédit NASA/ESA/STScI |
Les
défis posés par cette mission :
Ils sont de plusieurs ordres :
·
Techniques :
durée du projet
radiations
Problèmes thermiques
Puissance nécessaire
électromagnétisme
·
Opérationnels :
Navigation
protection planétaire
Volume des données
·
Quel lanceur :
Ariane 5 ou 6 ?
·
Aspects
humains : continuité de l’information sur toute la durée du projet.
U
https://www.youtube.com/watch?v=HqEP16wTlaw
En conclusion Olivier Witasse
nous fait remarquer qu’après une telle mission, il ne faudrait pas oublier nos
lointaines planètes comme Uranus et Neptune sur lesquelles on sait très peu de
choses.
POUR ALLER PLUS
LOIN :
JUICE at Europa par la
Planetary Society. À lire absolument.
ESA's Jupiter Moon Mission
"JUICE" - Space Documentary (Euronews),
vidéo avec O. Witasse, P. Drossart, A. Coustenis..
L’habitabilité des lunes glacées de Jupiter (JUICE Mission)
par O. Grasset
JUICE: A European Mission to Jupiter and its Icy Moons
par Claire Vallat
JUICE's primary target: Ganymede
de l’ESA
Exploring icy satellites for their Astrobiological potential from an
astronomical point of view
par A Coustenis
Juice, science payload
par l’ESA
Les instruments
de Juice par le CNES
Les satellites de Jupiter et Juice par le LPL
avec belle explication de la révolution synchrone.
Tides on Jupiter’s moon Ganymede and their relation to its internal structure
Jupiter's Moon Ganymede Has an Underground Ocean
Les variations des aurores polaires de la grande lune Ganymède révèle la
présence de son vaste océan
NASA’s Hubble Observations Suggest Underground Ocean on Jupiter’s Largest Moon
Hubble's View of Ganymede -- Briefing Materials
à voir absolument
The Moons of the Outer Solar System
Video RCE 2016 d’Olivier
Witasse sur Juice.
Prochaine conférence mensuelle de la SAF à TeleComParistech :
Vendredi 11 Janvier 2019
19H00
CONFÉRENCE de Caroline FREISSINET
Astrobiologiste au LATMOS Obs de Paris
SUR «
L'EXOBIOLOGIE ; OÙ ET COMMENT
CHERCHER LA VIE DANS LE SYSTÈME SOLAIRE ?. »
Réservation à partir du 15 Dec 2018
Entrée
libre mais
réservation
obligatoire. (Vigipirate)
Bon ciel à tous
Jean Pierre
Martin Président
de la commission de cosmologie de la SAF
Abonnez-vous gratuitement aux astronews
du site en envoyant votre nom et
e-mail.