Mise à jour 18 Juin 2018
CONFÉRENCE MENSUELLE DE LA SAF
« LA MATIÈRE NOIRE, LE CÔTÉ SOMBRE DE L’UNIVERS »
Par Françoise COMBES
Académicienne, Astronome Observatoire de Paris, Collège de France
À TelecomParisTech 46 rue Barrault Paris 13.
Le Vendredi 15 Juin 2018 à 19H00
Amphi Thévenin
Photos : JPM pour l'ambiance
(les photos avec plus de résolution peuvent
m'être demandées
directement)
Les photos des slides sont de
la présentation de l'auteur. Voir
les crédits des autres photos et des animations.
LA conférencière a eu la
gentillesse de nous donner sa présentation , elle est disponible sur
ma liaison ftp et se nomme :
Mat noire Combes SAF 2018.pdf,
qui se trouve dans le dossier CONF-MENSUELLES-SAF/ saison 2017-2018.
Ceux qui n'ont pas les mots de
passe doivent me
contacter avant.
Cette conférence a été filmée
en vidéo (grâce à UNICNAM et IDF TV) et est accessible sur Internet
On la trouve à cette adresse https://www.youtube.com/playlist?list=PL1ZHG2CIuv2d-Hy8gM_9--HJzUhrwPZ-4
Je n’ai pas pris beaucoup de
notes étant donné que j’ai fait des photos aussi mon CR sera succinct sur
certains points, se référer au ppt de l’auteur pour plus de détails.
Françoise Combes, est ancienne
élève de l'École normale supérieure (ENS, Paris), agrégée de sciences physiques
(1975), et docteur d’État en Astrophysique (1980).
Elle a été Astronome à
l'Observatoire de Paris (1989-2014) à la section du LERMA (Laboratoire d’Études
du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique et Atmosphères).
Elle a été présidente de la
Société française d'Astronomie et d'Astrophysique (2002-2004) et a dirigé le
Programme national Galaxies du CNRS (2001-2008).
Elle est présidente du Cofusi
(Comité français des unions scientifiques internationales) depuis le 3 janvier
2010, et membre de l’académie des sciences depuis 2004. Elle est depuis 2003
éditeur de la revue européenne Astronomy & Astrophysics.
Elle occupe
la chaire de « Galaxies
et Cosmologie » au Collège de France.
Françoise Combes s’intéresse
particulièrement à la dynamique et à la structure des galaxies et aussi à la
matière noire dans l’Univers, ce dernier point sera son sujet ce soir.
HISTORIQUE DE LA MATIÈRE NOIRE.
C’est en 1937, l’astrophysicien
d’origine suisse, Fritz Zwicky, qui le premier met le doigt sur l’existence
d’une matière invisible tournant autour des galaxies. Grâce à la raie de 21cm de
l’Hydrogène, on a pu en effet mesurer la vitesse de rotation des étoiles à
différentes distances du centre de leurs galaxies.
Phénomène redécouvert 40 ans
plus tard par Vera Rubin.
C’est comme cela que l’on s’est
rendu compte, que seule la matière visible ne suffisait pas à maintenir la
cohésion de la galaxie, il devait exister une matière invisible présente
assurant suffisamment de gravité pour que ces galaxies ne se désintègrent pas.
Les
galaxies tournaient trop vite par
rapport aux lois de Kepler.
Échelle verticale : vitesse de
rotation en différents points
Échelle horizontale : distance
au centre de la galaxie en kpc (1kpc = 3,6 al)
Légende :
B = vitesse des étoiles du
bulbe galactique
D = vitesse des étoiles du
disque
H = vitesse du halo matière
noire.
La courbe en trait plein est la
résultante observée, la courbe en trait plus fin est ce que l'on attendait, basé
sur la matière visible uniquement (courbe képlérienne).
On remarque aussi par exemple
que dans
la galaxie M 83, l'Hydrogène atomique (appelé HI), qui est un traceur
de la matière sombre, est bien plus large (en IR, vue de gauche sur l’image
indiquée dans l’URL) que la galaxie vue dans le visible.
La matière noire n’interagit
pas avec la matière ordinaire, ni avec elle-même ; elle n’est sensible qu’à la
gravité.
Mais l’astrophysique permet
maintenant d’étudier dans de vastes domaines de fréquences : des X et gamma
(haute énergie) aux ondes radio (faibles énergies).
Ce sont les premiers satellites
X comme XMM-Newton de l’ESA, qui découvrent des gaz très chauds dans les
galaxies comme dans cet amas de Coma sur lequel d'ailleurs Zwicky avait
travaillé.
Dans l’amas de galaxies Coma en
lumière visible (à gauche), on voit les deux galaxies principales, NGC 4874 et
NGC 4889, et plein d'autres galaxies.
Au centre, on voit l’image en
rayons X à grande échelle prise avec le satellite XMM-Newton (ESA). Le rouge
correspond aux zones de plus forte émission X.
À droite, en rayons X l’image
obtenue avec le satellite Chandra (NASA) ; les deux points lumineux
correspondent aux deux galaxies les plus brillantes.
C’est un vaste amas qui
contient plus de 1000 galaxies.
Sa dimension : une dizaine
d’années-lumière,
Sa distance à la Terre : 300
millions d’années-lumière.
Sa masse : 1015
masses solaires.
Il est composé de 15% de gaz ;
5% de galaxies et 80% de matière noire.
Il contient du gaz très chaud
(100 millions de degrés !) dont la masse serait comparable à la masse manquante.
Aujourd’hui, on sait que la
masse du gaz chaud correspond approximativement à 10 fois la masse de la
galaxie.
Mais il reste encore de la
matière noire correspondant à 6 fois la masse visible.
La masse manquante se réduit ;
la plupart de la matière ne rayonne pas dans les longueurs d’onde visibles.
OÙ
SONT LES BARYONS ?
On a un problème : il semble
que l’on n’observe qu’une partie de la matière ordinaire baryonique.
Dans certaines galaxies la
matière baryonique observée est trois fois plus faible que ce que l’on
attendait.
On se pose donc la question :
Où sont les baryons manquants ?
On sait que :
·
6% se trouve
dans les galaxies (étoiles) et 3% dans les amas
·
18% dans les
filaments cosmiques (forêt Lyman alpha)
·
10% dans le
milieu intergalactique (WHIM : Warm-Hot Intergalactic Medium)
·
63%
non encore identifié !!!!!
En fait il y a très peu de
baryons dans les galaxies.
Plus récemment les
lentilles gravitationnelles nous aident à trouver de la matière noire, en effet,
ces lentilles (une des conséquences de la relativité générale d'Einstein), qui
sont des accumulations de matière invisible, situées entre des galaxies
lointaines et nous, jouent le rôle d'une véritable lentille optique, donnant
lieu à toutes sortes d'images en fonction des types de galaxies, positions et
masse de matière. Notamment des mirages ou des anneaux d'Einstein.
TYPES DE MATIÈRE NOIRE.
On peut penser à différents
types de matière noire suivant leur « température » : chaude, froide ou tiède,
en fait la notion de chaud ou froid repose sur la vitesse des particules au
moment du découplage du plasma primitif.
La matière noire chaude (HDM
Hot Dark Matter) correspond à des particules très rapides et donc relativistes
(par exemple les neutrinos)
La matière noire froide (CDM :
Cold Dark Matter) correspond à des particules plus lentes.
Modèle intermédiaire, la
matière noire tiède (WDM : Warm Dark Matter).
Ce qui semble le plus
correspondre à ce que l’on pense aujourd’hui : la CDM avec sa particule la plus
probable : le neutralino qui est un WIMP (Weakly Interactive Massive Particles)
On
pense à plusieurs sortes de matière noire :
· Matière noire froide : la matière forme des filaments bien distincts
· Matière noire tiède : filaments flous
· Matière noire chaude : filaments peu nombreux et flous.
Le modèle froid (CDM) est celui
qui représente le mieux les observations à grande échelle de l’Univers
Mais il y a trop de galaxies
naines avec le modèle CDM quand on effectue des simulations par rapport à la
réalité. Alors ?
L’AMAS DU BOULET ET AUTRES SIMILAIRES.
Voici une photo composite de
plusieurs longueurs d’onde de l’amas du boulet (bullet cluster en anglais) Abell
1E0657-558 son nom officiel.
Il a été mis au jour par
Chandra (télescope spatial en X) en 1995.
Après analyse on s’aperçut que
c’était un double amas en interaction, l’un traversant l’autre.
Gaz chaud en rose/rouge (H et
He émettent enrayons X).
En bleu (la plus grande partie
de la masse de l’amas) on représente la distribution de masse de ce qui serait
la matière noire, vue par effet de lentille gravitationnelle faible (weak
lensing) créée par cet amas
Au centre en blanc et orange :
image de la galaxie en visible (optical pour les anglo-saxons).
Crédit : X-ray:
NASA/CXC/CfA/Lensing Map: NASA/STScI; ESO WFI; Magellan/. Optical: NASA/STScI.
On remarquera que lors de
l’interaction des amas, les galaxies et la matière noire se sont pénétrées et
traversées sans interaction.
Cependant le gaz chaud (matière
baryonique) émettant en X, a subi un choc avec la rencontre il a été freiné et
est resté en arrière.
Comme le dit un communiqué de
l’Observatoire de Paris si joliment : «
La gigantesque collision a « décoiffé » les deux amas de leur halo de gaz
provoquant une onde de choc visible dans la pointe de la petite tache rouge.
Cette onde de choc a fortement comprimé et donc échauffé les gaz de l'amas au
point d'atteindre 100 millions de degrés. On y distingue comme un boulet suivi
de sa trainée de gaz. »
Il existe de nombreux autres
exemples de telles collisions (à ce jour 72), en voici quelques-unes.
LES
PARTICULES DU MODÈLE STANDARD.
Une possibilité :
des neutrinos stériles
comme matière noire (tiède) ?
Une autre hypothèse concerne
les trous noirs primordiaux (PBH = Primordial Black Holes).
Ces TN se seraient formés au
début du BB et pourraient selon certains constituer une partie au moins de la
matière noire.
On pense aussi qu’ils auraient
un lien avec les ondes gravitationnelles. Ligo/Virgo commencent à les voir ?
Ces trous noirs
correspondraient aux fluctuations quantiques présentes dans l’Univers
primordial.
Ils ont un avantage, ils
n’émettent pas de lumière, mais ils seraient plutôt de la classe MACHOS (Massive
Compact Halo Objects) plutôt que WIMP, alors…
RECHERCHE DES PARTICULES.
Qu’en
déduit-on sur la nature de la matière noire ? Quelles sont les hypothèses les
plus sérieuses ?
Il
y a beaucoup
de candidats comme on le voit sur la diapo ci-contre.
Le
candidat favori pour la matière noire est le
neutralino.
Cette
particule hypothétique est neutre, 100 fois plus lourde que le proton et
interagit très faiblement avec la matière ordinaire.
Par
conséquent cette particule est aussi souvent appelée un WIMP (Weakly Interacting
Massive Particle).
On obtient l’abondance requise
de matière noire avec des particules de masse ~100 GeV, interagissant avec la
force faible section d’annihilation ~3 10-26 cm3/s
Cela correspond à la plus
légère particule de la Super Symétrie (SuSy), mais hélas, pas encore de
supersymétrie détectée au LHC, alors….
La détection directe (je
reprends un texte écrit il y a quelques mois à ce sujet) :
Le problème pour détecter les éventuelles
particules de matière noire est, de faire taire l’Univers !
Ceci afin de distinguer le signal du bruit.
Pour cette raison la plupart des expériences sont enfouies sous terre, afin
d’éliminer le plus possible les rayonnements parasites, de plus ils sont aussi
très souvent refroidis à des températures cryogéniques.
Néanmoins la probabilité d’interaction est
faible : de l’ordre de 1 évènement par kg et par an au fond d’une mine pour une
expérience comme Edelweiss dans
le laboratoire souterrain de Modane.
Alors que pour un être humain il est de 1010 évènements
par kg et par an
Plusieurs expériences de détection directe ont
eu lieu comme :
· DAMA
libra au Gran Sasso en Italie devant détecter des particules de
matière noire dans le halo galactique suivant la position de la Terre de 6 mois
en 6 mois (comme pour les mesures de parallaxe).
· CoGeNT (Coherent
Germanium Neutrino Technology ) dans une mine d’un parc du Minnesota, la
détection se faisant à l’aide d’un cristal de Germanium ultra pur de 440g
· CRESST (Cryogenic
Rare Event Search with Superconducting Thermometers) situé aussi dans le
laboratoire du Gran Sasso, il utilise un
ensemble de détecteurs à très basse température.
· Xenon-100 ce
détecteur serait le plus sensible du monde, il est supposé être capable de
détecter de très rares interactions entre la supposée matière noire et des
atomes de Xénon par effet Tcherenkov. Aussi enfoui au Gran Sasso
· CDMS (Cryogenic
Dark Matter Search) projet de l’Université de Stanford qui se déroule dans la
mine Soudan du Minnesota. Cristaux
refroidis à très basse température.
· LUX (Large
Underground Xenon Experiment) detection aussi à base de Xénon
liquide enfoui dans la mine de Homestake au Dakota du Sud. Effet
Tcherenkov.
Si
les résultats des 3 premières expériences sont plutôt positifs, ceux des trois
dernières sont plutôt négatifs.
Alors, que conclure ???
La meilleure expérience
aujourd’hui c’est
Xenon 1T dans
le tunnel du Gran Sasso.
Courbe d'exclusion obtenue par
XENON1T (sections efficaces en fonction de la masse) comparée avec d'autres
expériences (E. Aprile et al.)
D’autres améliorations de Xe1T
devraient avoir lieu avec 8 tonnes au lieu de 1 tonne !
MODIFICATIONS DE LOIS.
Certaines difficultés pour
découvrir la matière nous font envisager d’autres solutions, radicales,
celles-là !
Y aurait-il une autre solution
que la matière noire ?
Une modification de la loi de
la gravitation de Newton par exemple.
La
théorie MOND (MODIFIED
NEWTONIAN DYNAMICS) est censée expliquer le problème de la courbe de
rotation plate des galaxies spirales que l'on expliquait jusqu'à présent avec la
matière noire.
Avec MOND, par exemple, on
garde la loi de Newton lorsque la force de gravité est supérieure à une valeur
limite (10-11 g).
Mais si elle est inférieure à
cette valeur, on passe en gravité modifiée.
Dans notre système solaire, par
exemple, cette limite de gravité se situe aux alentours de 8000 UA!
Cette théorie repose sur la
modification de la deuxième loi de la mécanique (la célèbre F = m G) aux
accélérations très faibles, on passerait aux faibles accélérations de la loi en
1/r2 en une loi en 1/r, r étant la distance ; la force d'attraction entre deux
corps ne décroît plus comme le carré de leur distance 1/r2) mais
comme l'inverse (1/r).
Une autre possibilité, la
gravité serait une force
émergente.
L’idée est celle-ci : et si la
gravité n’apparaissait qu’aux échelles macroscopiques et non pas au niveau des
particules élémentaires, elle serait une propriété émergente, une force
entropique et non plus une des quatre forces fondamentales ? C’est
Ted Jacobson qui émit cette idée en 1995 ; idée reprise un peu plus
tard par le physicien indien
Thanu Padmanabhan.
Il pense que l’accélération de
l’expansion de l’Univers provient de notre méconnaissance de la gravité, qui
devrait en fait être traitée comme une force émergente.
Ce serait aussi ce que l’on
appelle une force entropique.
Au niveau microscopique : un
grand nombre de degrés de liberté invisibles, mais pertinents pour la physique
macroscopique
La gravité viendrait
automatiquement du fait que l’espace occupé par cette information, ces degrés de
liberté microscopiques, dépend de variables macroscopiques, comme la position
des objets massifs.
Cela pourrait aussi être lié à
l’intrication quantique.
CONCLUSION.
La matière noire est constituée
de particules encore inconnues, hors du modèle standard.
On la recherche activement
depuis plus de trente ans.
La masse de ces éventuelles
particules est contrainte entre deux énormes valeurs :
Entre 10-6 eV (si ce
sont des axions) et 1012 eV (si ce sont des Wimps)
Ou est-ce des neutrinos ou des
TN primordiaux ?
Ou alors sera-t-on obligé de
modifier la Gravité (loi MOND) ou d’introduire celle-ci sous forme émergent ?
Tout est ouvert !
POUR ALLER PLUS
LOIN :
Leçon Inaugurale F Combes Collège de France CR de la séance du 18 dec
2014
Le problème de la matière noire : galaxies spirales
cours de F Combes au Collège de France.
Recherche de la matière noire :
CR de la conf SAF (Cosmologie) avec M Cirelli du 16 Dec. 2017
La matière noire,
une sombre affaire par F
Combes.
Matière et énergie noires :
CR de la conf. de N Palanque Delabrouille à l’IAP le 5 Avr 2011
La matière noire sondée à la lumière des quasars
par le CEA.
La matière noire est peut-être en partie formée de trous noirs primordiaux
par Futura Sciences
Primordial black hole evolution in two-fluid cosmology
par Gutierez et al
La matière noire (suite) : XENON1T détecteur de matière noire
Record de sensibilité pour XENON1T dans la recherche directe de la matière noire
Energie noire et nouvelle physique
par F Combes
La matière noire est-elle une illusion ?
article de Pour la Science.
Une vidéo
d’un cours de F Combes sur un sujet similaire.
Prochaine conférence mensuelle de la SAF à TeleComParistech :
Vendredi 14 Septembre
2018 19H00
CONFÉRENCE DE James C. EVANS (Physicien et Historien des Sciences)
Université de Puget Sound (Wa USA) Francophone
SUR
«
L’ASTRONOMIE GRECQUE À SON APOGÉE AVEC LA MACHINE D’ANTICYTHÈRE.
»
ATTENTION MODIFICATION PAR RAPPORT AU PROGRAMME PRÉCÉDENT SUITE À
UN EMPÊCHEMENT D’OLIVIER WITASSE (QUI VIENDRA LE 14 DEC°)
Réservation à partir du 16 Aout 2018 9H00
Entrée
libre mais
réservation
obligatoire. (Vigipirate)
Bon ciel à tous
Jean Pierre
Martin Président
de la commission de cosmologie de la SAF
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